L’analyse monétariste s’est développée à la fin des années 1960, en opposition au keynésianisme. Les monétaristes condamnent les politiques « laxistes » de l’État en matière monétaire et budgétaire. Elles n’ont à long terme aucun effet sur l’activité économique mais sont source d’inflation qui est un phénomène strictement monétaire. Les monétaristes, en particulier l’économiste américain Milton Friedman, préconisent une progression annuelle de la masse monétaire calquée sur la croissance. Le volume de la monnaie en circulation (la « masse monétaire ») doit être suffisant pour financer les transactions correspondant à l’activité économique d’un pays. Pas plus pas moins.
Le monétarisme est à la fois une théorie et une politique.
Une théorie économique tout d’abord. C’est au XVIe siècle que Jean Bodin souligne l’existence d’une relation positive entre la masse monétaire et le niveau des prix. Reprise et améliorée au cours des XVIIIe et XIXe siècles par Hume, Smith, Ricardo, Marshall et Pigou, la théorie quantitative de la monnaie exprime l’idée qu’il existe une relation croissante entre la masse monétaire demandée, les prix et le niveau de l’activité économique. Fisher, au XXe siècle, lui donne sa forme la plus achevée.
En considérant la demande de monnaie comme essentielle dans la détermination du niveau d’activité économique, Keynes reprend et étend la théorie quantitative de la monnaie. Il la reprend car les agents demandent de la monnaie pour effectuer des transactions en fonction du niveau d’activité économique. Il l’étend car les agents demandent aussi de la monnaie pour acheter des titres en fonction du taux d’intérêt. Cette extension est très importante car elle ouvre à Keynes la voie des politiques budgétaires expansionnistes. Pour revenir au plein emploi, il suffit à l’Etat d’accroître les dépenses publiques qu’il finance par émission de titres à masse monétaire donnée et impôts constants. En dépensant davantage, l’Etat demande des biens supplémentaires que les entreprises privées doivent produire avec une main-d’oeuvre supplémentaire. Ainsi, Keynes montre qu’une politique budgétaire expansionniste est susceptible de résorber le chômage. Malheureusement, il en résulte une hausse du taux d’intérêt, qui freine l’investissement. Toutefois, la répétition de ces politiques a pour contrepartie l’accroissement de la dette publique. Les gouvernements sont alors incités à accroître la monnaie pour rembourser la dette.
Le monétarisme comme politique économique ensuite. La politique monétariste d’inspiration libérale voit le jour au cours des années 1950 sous l’impulsion de Milton Friedman, prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel 1976. Les monétaristes s’opposent à Keynes, et montrent que la détermination du niveau d’activité économique repose sur l’offre de monnaie (et non pas la demande.) L’inflation provient des autorités monétaires, qui en augmentant la masse monétaire engendrent la hausse des prix ! D’après Hayek, la première manipulation de la masse monétaire par un gouvernement aurait eu lieu en 1922. Friedman et Schwarz montreront que la crise de 1929 en est la conséquence. Pour eux, les interventions de l’Etat en vue de parvenir au plein emploi sont déstabilisatrices. Il faut donc limiter l’intervention de l’Etat en rejetant les politiques fiscales et budgétaires. Seule une politique monétaire maîtrisée et compatible avec les anticipations des agents économiques peut être mise en oeuvre. Pour cela, la masse monétaire doit croître en fonction de l’accroissement de long terme des prix et non pas suivant les variations de l’activité économique. Si les autorités monétaires indépendantes des gouvernements maintiennent constante la valeur de la monnaie à travers le temps, alors les anticipations de prix des agents économiques ne sont pas perturbées. Chacun anticipe que l’accroissement des prix sera le même à la période suivante que celui qu’il fut à la période précédente. Les anticipations adaptatives ont des effets si puissants qu’elles sont de nature à lisser les aléas conjoncturels.
Les nouveaux classiques, avec Lucas, prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel 1995, vont aller plus loin que les monétaristes précédents en démontrant l’impuissance des autorités monétaires. Lorsqu’elles annoncent leur politique monétaire, les agents rationnels anticipent immédiatement l’inflation qui va en résulter et se couvrent en prenant aujourd’hui des positions économiques qui les protègent contre la hausse des prix de demain. Ils achètent des biens durables susceptibles de mieux conserver leur pouvoir d’achat à travers le temps que la monnaie. Ce faisant, ils annulent complètement tous les effets positifs que la politique monétaire aurait pu engendrer aujourd’hui et sur lesquels les autorités monétaires comptaient. Seule une politique de choc non annoncée peut avoir une réelle efficacité, parce que les autorités monétaires, en trompant les agents économiques, empêchent les anticipations de jouer à contre sens. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les nouveaux classiques montrent alors qu’il est impossible de manipuler à long terme les erreurs d’anticipation car les individus rationnels changent de décisions lorsque les politiques changent. Tromper les agents économiques n’est pas un équilibre (stationnaire) de long terme !
Aux gouvernements qui réclament le maintien de leur souveraineté en matière de création monétaire, les monétaristes répondent qu’il vaut mieux une banque centrale indépendante, qui assure par la stabilité des prix la croissance économique et la réduction du chômage.
Un des principes au cœur de la théorie monétariste consiste à concevoir l’inflation comme étant la conséquence d’une croissance excessive de la masse monétaire. L’inflation, qui est « partout et toujours un phénomène monétaire » (Friedman), doit être jugulée par le biais d’une baisse de l’offre de monnaie. De plus, les variations de la masse monétaire ne sauraient affecter les facteurs réels de la croissance : le progrès technique, la croissance de l’offre de travail ou bien encore le taux de formation du capital sont le fruit du libre jeu du marché dans une économie qui s’autorégule.
La monnaie est « exogène », neutre, un « voile jeté sur les échanges ». Il s’agit donc d’une réactualisation de la très ancienne théorie quantitative de la monnaie.
Dès lors, comment expliquer l’inflation ? Pour Kaldor, les phénomènes inflationnistes des années 1970 sont avant tout dus à un renchérissement des coûts (matières premières, hausse des salaires, etc.). Et si la hausse des taux d’intérêt parvient parfois à juguler l’inflation, ce n’est pas parce qu’elle produit une baisse de la demande de monnaie, mais plutôt parce qu’elle engendre, via le canal du taux de change, une surévaluation monétaire sur le marché des changes qui rend instantanément les exportations moins rentables. Par conséquent, les entreprises du pays où les taux d’intérêt ont augmenté sont livrées à une féroce concurrence et se voient obligées de baisser au maximum leurs prix (en comprimant les salaires ou leurs marges) pour survivre. Les entreprises qui ne peuvent pas supporter le choc disparaissent, ce qui engendre du chômage et une récession. D’autre part, une augmentation des taux d’intérêt tend à « calmer » les revendications salariales, car les entreprises dans lesquelles elles surgissent ne peuvent plus se permettre de telles augmentations.
C’est précisément via cet enchaînement causal que Margaret Thatcher est parvenue à juguler l’inflation après son arrivée au pouvoir en 1979. La hausse des taux d’intérêt peut donc être efficace pour lutter contre l’inflation, mais ceci n’a rien à voir avec la masse monétaire. Nicholas Kaldor écrit ainsi[ii] :
« […] après l’explosion inattendue des prix et des salaires britanniques en 1980-1981, le monétarisme strict fut mis au placard… Á la place de Milton Friedman, le gouvernement s’est tourné vers une politique keynésienne inversée »